Dans une petite unité industrielle d'une ville endormie, deux artisans italiens construisent quelque chose qui a du sens
L'ambiance dans l'atelier DeAnima a changé en un éclair. Finies les plaisanteries et les rires italiens faciles d'il y a quelques minutes, et à sa place se trouve une sérieuse concentration. Les deux hommes en chemises grises fortuites - qui constituent l'ensemble de la main-d'œuvre - travaillent maintenant rapidement sur le cadre en carbone brut, enveloppant les joints des tubes dans des morceaux de préimprégné, coupant et affinant l'alignement des fibres pour une résistance maximale et une finition parfaite. Un cadre de vélo artisanal prend forme.
« Désolé, mais nous devons travailler vite maintenant, surtout parce qu'il fait si chaud », déclare Gianni Pegoretti, les yeux fixés sur le cadre devant lui. Il n'y a aucune trace de panique, mais cette partie du travail exige clairement de l'habileté, de la précision et de la rapidité. La raison du changement brusque de tempo est due à la nature de la fibre de carbone préimprégnée. Une fois sortie du congélateur, la résine commence à durcir et à durcir, limitant le temps de travail disponible. La situation est rendue encore plus urgente par la température de l'air ambiant qui, ce jour-là dans la région de Trente en Italie, atteint 38°C à l'ombre, et plutôt 40°C dans l'atelier. Je transpire rien qu'à regarder.
Dès le début
DeAnima en tant que marque a un peu plus d'un an, bien que la force motrice derrière elle, Gianni Pegoretti, construise des cadres depuis 20 ans. Vous reconnaissez probablement le nom de Pegoretti. Le frère de Gianni, Dario, est le constructeur de cadres derrière les vélos Pegoretti, et les frères ont travaillé ensemble pendant neuf ans (Pour plus d'informations: interview de Dario Pegoretti). Vous avez peut-être également rencontré DeAnima au Bespoked Handmade Bicycle Show en avril de cette année à Bristol, où le DeAnima 'Unblended' était un vélo artisanal en fibre de carbone au milieu d'une mer de métal.
« Mon frère fabriquait des cadres depuis le début des années 70 à Rome avec Milani, l'un des principaux fournisseurs de Bianchi, Colnago et d'autres marques », déclare Gianni plus tard au déjeuner, lorsque les joints sont bien emballés et que le cadre est en train de durcir. dans le four. ‘En 1996, Dario et moi avons commencé à travailler ensemble.’
C'est un partenariat qui a abouti à certains des meilleurs cadres artisanaux au monde, jusqu'à ce que les frères se séparent. "Après 2005, nos chemins se sont séparés - Dario avait sa propre route et j'avais la mienne", dit-il avec une brièveté notable.
Ce n'était pas une scission entièrement à l'amiable et le couple ne se parle pas à ce jour, sauf par l'intermédiaire d'avocats, mais cela a conduit Gianni à être recruté par une organisation appelée San Patrignano (prononcé Patriano), qui finirait par diriger au partenariat avec Antonio Attanasio et à la création de DeAnima.
San Patrignano a pour mission de réhabiliter les jeunes ayant de graves problèmes de drogue. Les centres résidentiels offrent un hébergement, une structure et l'enseignement d'un métier, tous conçus pour fournir une concentration, des compétences et un sentiment d'inclusion et de valeur à ses résidents en difficulté. Gianni et Dario avaient auparavant apporté leur soutien à la communauté locale de San Patrignano, et après leur séparation, Gianni a été approché pour diriger l'opération de construction de cadres de vélos. « Vous étiez le patron ? » je demande. Il secoue la tête. ‘Pour moi ‘chef’, ‘‘patron’’, ‘manager’… Je n’aime pas ces mots. J'ai juste enseigné à des gars dans l'atelier, et je suis resté neuf ans. Ce n'était pas seulement des cadres que nous construisions - nous reconstruisions des gens - et c'est probablement la chose la plus importante que j'ai faite dans ma vie.'
Antonio était l'un de ses élèves vedettes qui est devenu un constructeur de cadres et un peintre de vélos qualifié. C'est au cours de cette période que l'idée de DeAnima a pris forme, avec l'aide de Matt Cazzaniga, qui travaillait auparavant avec les frères Pegoretti sur les ventes et le marketing, et importait leurs vélos au Royaume-Uni. Lorsque la communauté locale de San Patrignano a fermé ses portes et a déménagé à Rimini, c'était l'impulsion dont elle avait besoin.
« Nous savions que c'était le bon moment », déclare Gianni. ‘Notre ami Tiziano Zullo [le célèbre carrossier de Vérone] nous a aidés à trouver des machines pour l’atelier et nous avons commencé.’
Différent par conception
Cyclist a visité de nombreuses usines de l'industrie du vélo où sont fabriqués des vêtements, des casques, des gels, des lunettes de soleil et bien sûr des vélos. Certains lieux se caractérisent par une efficacité clinique, des zones secrètes bouclées et des coussins moelleux de peluches marketing. Le modeste atelier de DeAnima dans une petite unité industrielle du village de Pergine Valsugana, à 10 km de Trento, est différent. Deux hommes construisent des vélos, un autre fait la promotion de la marque naissante et essaie de créer quelque chose de traditionnel, mais différent. Le nom de l'entreprise fait allusion au raisonnement derrière l'entreprise. De Anima est une œuvre d'Aristote qui se traduit par "On The Soul" dans laquelle le philosophe explore le concept de l'âme immortelle dans tous les êtres vivants.
« Notre motivation est la même qu'à San Patrignano et avec mon frère Dario », déclare Gianni. «Pour préserver les anciennes méthodes de travail italiennes - la géométrie italienne. L'industrie du cyclisme a changé et en Italie, nous avons perdu cette méthode. Nous n'avons que trois ou quatre petits artisans bâtisseurs comme celui-ci maintenant. Mais les marques historiques - Pinarello, De Rosa, en partie Colnago - ont perdu la méthode personnelle et ont adopté la nouvelle philosophie de la production de masse, et pour nous ce n'est pas l'âme de la fabrication de cadres.
'Notre idée est probablement une façon plus difficile de faire les choses, mais si je conçois un vélo et que je vais ensuite à la banque et qu'ils me donnent de l'argent pour mon entreprise et que je mets des autocollants Pegoretti sur des cadres chinois… c'est trop simple, et ce n'est pas ma façon de penser. Nous allons grandir et créer une petite marque avec notre propre idée.'
DeAnima n'est pas seulement un exercice de nostalgie, comme en témoigne le choix du matériau. Ils fabriquent des vélos en acier ici, mais le carbone est l'objectif principal. «Lorsque vous utilisez de l'acier et de l'aluminium, vous fabriquez des jeux de tubes en partenariat avec Dedacciai ou Columbus et vous ne pouvez pas contrôler l'ensemble du processus. Mais avec le carbone, c'est possible, et c'est une bonne chose pour nous.'
Le jeu de tubes a été conçu en collaboration avec Oswald Gasser, un ingénieur en composites de l'université voisine de Trento, qui a conçu le calendrier de pose en collaboration avec Gianni.
Ils n'ont pas d'autoclave sur place, donc le jeu de tubes est fabriqué à 130 km à Venise exclusivement pour DeAnima. Gianni commande 30 ou 40 jeux de tubes à la fois et chacun se décline en cinq pièces. "Ce n'est pas monocoque car pour le marché italien, le plus important est d'avoir une géométrie sur mesure - et nous y parvenons en enveloppant les joints avec du carbone", dit-il."Nous avons fait le tube de direction et le tube diagonal ensemble car cet angle est le même avec toutes les tailles de cadre, du petit au XXL."
Une fois la géométrie décidée en fonction des besoins de chaque client, les tubes sont coupés à longueur et les joints sont coupés en onglet afin qu'ils s'emboîtent parfaitement. La pièce de tube de direction / tube diagonal est placée dans un gabarit et collée au tube supérieur, au tube de selle et au boîtier de pédalier (en utilisant de la colle aéronautique produite par 3M pour s'assurer qu'elle ne réagit pas avec la fibre de carbone). Celle-ci est ensuite mise au four pendant 20 minutes à 60°C pour fixer la colle.
Ensuite, il est de retour sur le gabarit, où les haubans sont collés en place à l'aide d'un guide différent pour assurer l'alignement et la hauteur correcte du pont de frein. Une fois durcie par un autre passage au four, la colle est soigneusement usinée pour s'assurer que les courbes autour des joints de tube sont lisses de sorte que lorsqu'elles sont enveloppées de carbone, il n'y ait pas d'angles serrés qui pourraient potentiellement affaiblir le carbone.
Chaleur du moment
Vient maintenant le point crucial. Le carbone préimprégné est retiré du congélateur et les pièces sont placées sur les joints, c'est à ce moment que Gianni et Antonio entrent dans le grand anneau et accélèrent leur rythme. C'est cet emballage en fibre de carbone des joints, et non le collage initial, qui donne au cadre sa force.
« Trois couches sont ce dont vous avez besoin pour avoir la bonne structure », déclare Gianni pendant qu'il travaille. Se déplaçant rapidement autour du cadre pour trouver l'angle d'attaque idéal, ils mettent les pièces en place, les massent sur les tubes pour obtenir une adhérence parfaite et un alignement exact des plis pour donner l'impression agréable d'une seule pièce de carbone sans soudure.
Le cadre soigneusement préparé est glissé dans un sac sous vide, l'air est évacué et le sac est mis au four et durci selon un gradient de température précis. La pompe à vide continue d'aspirer l'air tout au long du processus pour garantir que les joints restent sous pression constante.
Une fois durcis, les joints sont décapés, lissés et nettoyés, prêts à être peints, avec Antonio brandissant l'aérographe. C'est un processus laborieux et méticuleux, et c'est à peu près aussi éloigné que possible des chaînes de production de masse de l'Extrême-Orient. Il n'y a pas de travail posté, pas de lignes de production automatisées, pas de niveaux de gestion, juste trois hommes qui travaillent avec cœur et âme.
« Dans le passé, le marché du vélo était petit », dit Gianni en ponçant le cadre fini prêt à être peint. « L'Italie, la France, l'Allemagne, la Hollande, la Belgique… C'était le marché mondial. Aujourd'hui, c'est l'Australie, le Japon, la Chine, l'Europe, l'Afrique du Sud - tout le monde utilise des vélos.'
‘Quand j'ai commencé avec mon frère, l'Italie était le grand joueur, mais la manière italienne n'est pas de faire de grandes marques - Fiat est probablement notre plus grande entreprise. Nous n'avons pas la mentalité de continuer à grandir parce que le chef de l'organisation veut tout contrôler. Les Italiens ont la mentalité d'une petite marque.'
Réflexions finales
La chaleur du jour diminue. Alors que Gianni me ramène à l'aéroport de Venise, il dit qu'il a toujours vécu dans cette région, et en passant devant la beauté des lacs et des montagnes, il est facile de comprendre pourquoi il est resté.
Nous avons un peu de temps à perdre, alors il fait un détour par Bassano del Grappa et me fait faire un petit tour de la ville où la grappa a été inventée, le point culminant étant le pont en bois du Ponte Vecchio, construit à la main au 16ème siècle. Il n'acceptera pas de paiement lorsque j'essaierai d'acheter l'Aperol Spritz dans un café-bar endormi. C'est un artisan calme et amical qui se soucie clairement de sa place dans le monde.
«Je suis probablement vieux, mais pour moi, il vaut mieux être un mouton noir dans un groupe de moutons blancs», dit-il en sirotant son Spritz. ‘Cette pensée est évidente dans notre travail.’
deanima.it
